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Ne désespérez jamais, faites infuser davantage

 

Tranches de savoir, Henri Michaux

 

 

Au commencement il y a un enfant qui explore le rivage en quête de petits bouts d’épave, des vieilles pièces de monnaies que rejetterait la mer. Cela se passe en Afrique, de l’autre côté du rideau étincelant qui sépare de l’enfance.

 

Plus tard l’homme cherche à se souvenir. Il cherche avec méthode, avec minutie, sans autre

savoir sur ce qu’il cherche que le savoir de ses mains, la connaissance aveugle.

 

Longtemps il s’affaire dans le noir, les matières vivent à son toucher, il y guette le doux et le

sensible, le ouaté, le floconneux, le soyeux, le rêche. Peu à peu émergent des demi - pénombres, des impressions de nuit, des fenêtres au crépuscule, des cicatrices, des signes. Dans la nuit de nos mémoires, il y avait ce moment précédant la couleur, lorsque nous émergions de la cécité première et que la vue était encore tactile.

 

Là s’est posé le pointeau d’Habib Harem : depuis plus de trente ans il explore fasciné le moment de l’émergence, il donne à toucher la première lumière, il grave le temps et prospecte l’espace, il invente des rythmes et des lignes, il couche des plages de pâleur, des champs veloutés de suie, de grands nappés silencieux. Prince acharné de la matière, il s’y enfonce avec tous ses sens au point qu’il voudrait effacer l’idée même du papier : que le papier soit pour sa seule impression, que l’artiste n’existe que pour l’unique empreinte de son art.

 

Plus tard arriveront des lueurs, des vents bleus, des clairières matinées de rouille, de lointains hâles de sépia, vert, terre de Sienne. L’exploration se poursuit à la faveur de métaux hasardeux qui parsèment ses errances et dont il ne cesse de redécouvrir les inscriptions cryptiques, les écritures corrodées, les linéaments.

 

Une archéologie se révèle, hagarde et fragmentée, ce sont fougères et fossiles, bas-reliefs ombreux, gazelles incertaines tout au fond des déserts. C’est le caché sous le visible, c’est la matière en sa fragile histoire, et qu’il refait lentement apparaître dans sa forge froide. Il y a autour de ces blasons l’odeur du feu qui rôde, il y a les traces de l’orage. Il y a aussi à regarder ces vestiges un infini bonheur du voir toucher : toucher ces cartes à-demi effacées du pays d’origine, toucher ces peaux qui appellent la caresse, toucher ces surfaces gaufrées où l’œil s’égare et trouve à se lover.

 

Longue est la patience du graveur qui s’attache à ces preuves et fait œuvre de tout ce qu’il trouve. Il ponce, il creuse, il blesse le métal, il paume avec tendresse ses ombres de papier. Du baiser appuyé entre ces matières planes, il réinvente un monde et quelquefois il chante.

 

 

François Emmanuel (2013)

 

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